Cuillère en bois de Chêne pédonculé (Quercus robur)
Après avoir sculpté la cuillère en bois de Chêne pubescent, et comme mes couteaux n’étaient pas encore complètement émoussés par la solide lignine de cette essence, j’ai sorti de mon stock un autre chêne, pédonculé celui-là, pour une nouvelle cuillère en bois.
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Dans la famille Fagaceae, je demande…
Cette cuillère en bois de Chêne pédonculé est la 39e sculptée pour mon défi consistant à tailler autant de cuillères différentes qu’il y a d’essences d’arbres répertoriées dans la flore forestière française.
Le Chêne pédonculé appartient à la famille des Fagacées dans laquelle le genre Quercus compte plusieurs centaines d’espèces. Pour ma part, j’ai intégré à la liste du défi 9 espèces courantes en France :
- Chêne sessile (Q. petraea) ;
- Chêne chevelu (Q. cerris) ;
- Chêne écarlate (Q. coccinea) ;
- Chêne vert (Q. ilex) ;
- Chêne des marais (Q. palustris) ;
- Chêne tauzin (Q. pyrenaica) ;
- Chêne liège (Q. suber) ;
- le Chêne pédonculé (Q. robur) ici présenté ;
- et bien sûr le Chêne pubescent (Q. pubescens) déjà sculpté.
Le chêne chapelle d’Allouville-Bellefosse
Le chêne d’Allouville est situé au centre du village d’Allouville-Bellefosse, dans le pays de Caux, en Seine-Maritime. Localisé à proximité immédiate du clocher de l’église du village, il abrite en son sein deux minuscules chapelles. Sa hauteur est de 18 m et sa circonférence atteint les 15 m à 1 m du sol. Avec son look de conte de fées, il draine chaque année plusieurs dizaines de milliers de visiteurs.
Le plus vieux chêne de France
Le chêne d’Allouville est réputé comme étant le plus vieux chêne de France. Si les premières traces écrites ne datent que de 1696, on a longtemps estimé dans la région que l’arbre avait été planté en l’an 911 pour célébrer la fondation de la Normandie, quand Charles-le-Simple concéda à l’envahisseur viking Rollon les comtés et les évêchés qui correspondent aujourd’hui à la Haute-Normandie. Mais les botanistes ne sont pas de cet avis et estiment qu’il aurait germé 100 ans plus tôt, autour de l’an 800. Ce Chêne pédonculé afficherait donc un âge séculaire de plus de 1200 ans.
Une vie riche en rebondissements
La foudre et la tempête lui ravirent plusieurs branches principales et les décapitèrent, ce n’était plus désormais un grand arbre, juste un arbre avec un tronc (Zora del Buono, Des arbres et des hommes).
C’est vrai qu’à le voir aujourd’hui, avec son escalier, sa plateforme, ses bardeaux, sa structure de soutien, on peut se demander à quoi ressembler ce majestueux chêne durant ses premiers siècles de vie. Georges Feterman [livre Arbres d’exception, les 500 plus beaux arbres de France ] dit de lui : Les enfants l’adorent, car il semble sorti d’un livre fabuleux, avec son escalier et son tronc tordu et dénudé.
L’arbre a perdu ses principale branches charpentières, perdu sa cime, et en vieillissant il s’est creusé de l’intérieur… L’auteur nous explique que notre chêne se serait effondré de longue date s’il n’avait été consolidé de l’intérieur en 1988 par une armature métallique. Il survit aujourd’hui grâce à une branche latérale qui porte chaque année de nouvelles feuilles et des glands, et fait preuve d’une vitalité étonnante.
On sait pourtant que l’arbre échappa plusieurs fois à la destruction. Vers le milieu du XVIIIe siècle, une tempête emporta la cime. Elle fut remplacée par un clocheton. En 1793, pendant la Terreur, les révolutionnaires voulurent l’incendier à cause de sa notoriété, et aux légendes prétendant qu’il possédait des pouvoirs magiques. L’histoire dit qu’il fut sauvé in extremis par les villageois armés de fourches et la brillante idée du clerc du village, Jean Baptiste Bonheure. Celui-ci, pour calmer les esprits des anticléricaux, subtilisa la statuette de la Vierge Marie et accrocha à la place une plaque qui rebaptisait l’arbre Temple de la raison.
Avec le temps , les aménagements intérieurs vieillissent. En 1853, l’abbé Cholet profite d’une visite du préfet pour lui demander (sans succès) le classement du chêne comme Monument historique. Mais le baron Le Roy offre alors 1 200 francs pour la restauration du chêne, dans le style du XVIIe siècle. Une fois achevé, Mgr Blanquart de Bailleul, archevêque de Rouen, bénit l’autel neuf et y célèbre la messe le 3 octobre 1854. De nos jours, des messes s’y déroulent encore régulièrement.
Au XIXe siècle, le chêne d’Allouville-Bellefosse devient officiellement une curiosité et il fait l’objet de soins attentifs de la part des villageois. Ils tapissent l’intérieur des chapelles de lambris, recouvrent son tronc d’un manteau de bardeaux de bois et aménagent un véritable escalier doté d’une balustrade pour en faciliter l’accès.
En 1912, l’arbre est frappé par la foudre qui l’ampute de moitié. Le site est classé en 1932. En 1988, le tronc, couvert de mousse, attaqué par les champignons, penche vers la rue de manière inquiétante. Il faillit alors être abattu. Heureusement, deux ans plus tard, le chêne est restauré et réaménagé pour mieux supporter les dégradations dues au tourisme. Le chêne d’Allouville est depuis 2009 inscrit à l’Inventaire du patrimoine culturel immatériel en France.
Un arbre chapelle
Il n’est pas habituel qu’un arbre abrite une chapelle. Qu’il soit habillé de bardeaux ne l’est pas non plus. Mais qu’il comporte en outre une cellule pour ermite, à l’étage au-dessus, si l’on peut dire, est une perle toute particulière. Ces fantaisies sont dues à deux hommes à l’imagination bien développée, un curé et un abbé, le père du Cerceau et l’abbé du Détroit (Zora del Buono).
A la fin du XVIIe siècle, les deux religieux eurent l’idée de voir combien d’enfants pouvaient tenir au sein du creux du tronc de l’arbre. On dit que 40 enfants y auraient pris place. L’idée vint alors aux deux hommes d’aménager cet espace : en bas fut construite une chapelle et à l’étage une petite pièce privée (1,75 x 1,20 mètres) pour l’abbé, qui aimait s’y installer pour écrire. Cette pièce était accessible par un escalier tournant autour du tronc.
Chênes pédonculés remarquables
Chênes remarquables en Europe
Le site Monumentaltress référencie plus de 4500 chênes pédonculés que nous allons donc passer en revue un par un 😉
- le plus large, en Suède, à Norra Kvill, est dénommé Kvilleken (ce qui signifie chêne de Kvill), avec une circonférence de 15,10 mètres (en 2014) et un âge estimé entre 1000 et 1200 ans (photo ci-contre à droite) ;
- le plus haut vit en Pologne, dans le fameux parc national de Bialowieza, avec une hauteur de 43,60 mètres (en 2011) ;
- le plus âgé est espagnol : le Carballo de Cartelos. Il est situé à Cartelos en Galice. Il aurait 2068 ans, avec une marge d’erreur de 50 ans. Il mesure 30 mètres avec une circonférence de 11,80 mètres (photo ci-contre à gauche).
Chênes remarquables en France
Le Chêne pédonculé peuple de très nombreuses pages du livre Arbres d’exception, les 500 plus beaux arbres de France de Georges Feterman : l’auteur recense plus d’une centaine de chênes remarquables en France, la plupart sont des chênes pédonculés. Le travail de sélection et d’analyse est en cours…
Pierre Lieutaghi évoque un chêne colossal, aujourd’hui disparu : le Chêne de Montravail, à Plessines en Charente-Maritime, qui était le plus gros et le plus ancien chêne de France : cet arbre, entièrement creux, mesurait 26 mètres de tour à la base et 13 mètres à 1 mètre du sol (…) il renfermait une chambre avec porte, fenêtre et banc taillé dans le bois même (…) il avait environ 2000 ans. A découvrir sur le site Krapoarboricole.
Je ne résiste pas à l’envie d’évoquer le chêne de Tronjoly (photo à droite), à Bulat-Pestivien dans les Côtes-d’Armor. C’est un magnifique chêne pédonculé de 12,73 mètres de circonférence. La photo ci-contre date de 2009, depuis ses 3 principales branches charpentières basses, de plus de 10 mètres de longueur, ont été étayées par son propriétaire. Il fait partie des 10 chênes les plus anciens et colossaux d’Europe, son âge pourrait dépasser le millénaire. A découvrir en détails sur le site lestetardsarboricoles.
Chêne remarquable en Belgique
Il se trouve en Belgique, à Liernu, section de la commune belge d’Éghezée située en région wallonne dans la province de Namur, un fort ancien et fort imposant Chêne pédonculé surnommé le Gros Chêne. Avec ses 1040 ans (en 2018), il a le titre de plus vieil arbre du Benelux. Il semble fort imposant avec 14,24 mètres de circonférence à 1 mètre. Sur le site Tree of the year, il bénéficie d’une fort jolie présentation : Traversant la Forêt Charbonnière, Charlemagne s’arrête dans une clairière. Un geai passe et perd un gland qui frappe le crâne de l’empereur. Du pied, Charles l’enfonce dans le sol. Il ajouta : Petit gland, les habitants de Liernu se souviendront de toi !
Son histoire est conté sur cette page du site krapoarboricole, sur lequel j’ai emprunté l’illustration ancienne ci-contre.
Chênes remarquables en Bourgogne
Alain Desbrosse présente 27 chênes pédonculés remarquables dans les deux tomes de Les arbres remarquables de Bourgogne. En voici une petite sélection :
- le plus gros chêne de Bourgogne vit à Vielmanay dans la Nièvre, c’est le Chêne de la Potence, avec une circonférence de 8,85 mètres, une envergure et une hauteur de près de trente mètres. Il tient son nom de sa fonction : à l’époque, on y aurait pendu voleurs, assassins et bandits en tous genres sous ses branches basses…
- le Chêne de Lacanche, en Côte-d’Or, que le site lestetardsarboricoles qualifie de chêne parfait. Alain Desbrosse dit de lui qu’il est l’archétype de cette essence de chêne : ses branches basses partent à l’horizontale jusqu’à 15 mètres du fût, soit une ombre portée de près de 700m2 pour ce seul arbre ! En novembre 2016, sa circonférence à 1,3 mètres de hauteur est de 5,94 mètres. Chêne visible dans ce reportage de France 3 sur Alain Desbrosse ;
- Enfin, on ne peut pas évoquer le Chêne pédonculé en Bourgogne sans présenter un Chêne de Juin, une essence à floraison tardive (var. tardissima Simonkai) dont la foliaison et la floraison sont décalées d’un mois : Le Chêne Charles Borgeot à Pourlans, en Saône-et-Loire, est de ceux-là. Haut de 38 mètres, avec une circonférence de 4,87 mètres. Les Chênes de Juin sont spontanés dans la cuvette de la Bresse où, par suite des gelées tar-
dives, seuls les arbres feuillant avec un certain retard seraient susceptibles de se reproduire. On le connaît surtout dans la vallée de la Saône entre Pontaillier et Saint-Amour ; il existe aussi en Sologne, en Berry dans la région de Vierzon… (Source : Revue forestière française, Arthur Riedacker, CNRF Nancy).
Connaitre et reconnaitre le Chêne pédonculé
Étymologie du chêne
Le chêne a une étymologie complexe qui puise ses racines dans plusieurs couches linguistiques. Pour en savoir plus, je vous renvoie à la lecture de l’article sur la cuillère en bois de Chêne pubescent.
Le Chêne pédonculé tient son qualificatif français du fait que ses glands (et non ses feuilles) sont rattachés aux rameaux par un pédoncule, par opposition au Chêne sessile (ou Chêne rouvre) dont les glands partent directement du rameau. Le qualificatif du nom latin, robur, signifie force, robuste.
L’arbre est parfois appelé chêne blanc, chêne femelle, gravelin, chêne à grappes ou châgne. Enfin, un lieu planté de chênes est une chênaie.
Distribution
En Europe, le chêne avait presque complètement disparu du fait des glaciations de l’ère quaternaire. L’histoire de sa reconquête de l’Europe est abordée dans l’article sur la cuillère en bois de Chêne pubescent.
Le Chêne pédonculé croît en pleine lumière, en dessous de 1000 mètres d’altitude (étage collinéen) dans des sols riches, profonds, argileux et dans les plaines alluviales. Il se rencontre aussi dans les sols sableux et arides mais y croît assez mal. Il est présent dans toute l’Europe et jusqu’à l’Oural à l’est, avec des exceptions comme le nord de la Scandinavie et certaines régions méditerranéennes. En France, il se rencontre partout sauf dans les Alpes du Sud et le pourtour méditerranéen.
Identification
Le Chêne pédonculé est un grand arbre, atteignant 30 à 40 mètres de hauteur, bénéficiant d’une grande longévité, d’au moins 500 ans, mais de nombreux spécimens approchent ou dépassent le millénaire. Selon son implantation, et la concurrence sur place pour la lumière, il sera plus ou moins élevé. Les spécimens présentant les plus gros diamètres de tronc vivent isolés et sont généralement le résultat d’une ancienne taille en têtard. Sa ramification naturelle est particulière. Pierre Lieutaghi la présente ainsi : la cime de l’arbre adulte est formé de très grosses branches plusieurs fois coudées, contournées, portant, sans beaucoup de branches intermédiaires, des rameaux courts et rapprochés. Le feuillage est ainsi fait de touffes inégalement distribuées entre lesquelles de nombreuses trouées laissent voir le ciel. L’auteur précise qu’ainsi, sous les futaies de chênes pédonculés, le sol n’est jamais nu. Ce feuillage ajouré permet le développement des semis et d’un sous-bois arbustif.
L’écorce est de couleur grise, lisse dans les premières années, puis laissant apparaître des sillons longitudinaux de plus en plus profonds à partir de 20 ou 30 ans.
Les feuilles simples, alternes, de 7 à 15 cm de long et d’environ 8 cm de large, ont une forme ovoïde. Elles sont découpées en 5 à 7 paires de lobes arrondis asymétriques, séparés par des sinus relativement profonds. De couleur vert foncé sur le dessus, elles présentent une coloration plus pâle en dessous. La base du limbe est étroite et comporte 2 petits lobes en oreillettes.
Le fruit, le gland, un akène, mesure de 1,5 à 3 cm de long. Les fruits sont en général groupés par 2 ou 3 sur un long pédoncule (d’où le nom vernaculaire de Chêne à grappes). Une cupule écailleuse couvre le tiers du fruit. Leur couleur évolue du vert au brun (fruit mature). La fructification a lieu en septembre et en octobre.
Le bois du Chêne et ses usages
La Flore forestière française à propos du Chêne pédonculé ? Que c’est un bois à aubier blanc, jaunâtre et duramen de couleur plus ou moins foncée quand les cernes d’accroissement sont larges ; bois se travaillant bien et se fendant bien, d’excellente qualité, durable ; densité variant considérablement en fonction de la sylviculture : cernes larges (croissance rapide) : fortes propriétés mécaniques, bois dense et dur, et grain plus grossier ; cernes fins (croissance lente) : propriétés technologiques excellentes, couleurs et motifs recherchés, le bois est plus tendre et à grain fin, se sculptant bien.
Wikipedia indique que le bois du Chêne pédonculé est quasiment indiscernable de celui du Chêne sessile, qu’ils sont généralement tous les deux vendus sous la simple appellation « chêne » qui désigne en France conventionnellement le bois de ces deux espèces mais pas des autres chênes. (…) La richesse du bois de chêne en tanins le rend durable face aux attaques de champignons et insectes xylophages (le duramen seulement, l’aubier est sensible), et même moyennement durable face aux termites. Classe d’utilisation : classe 3 (utilisable à l’extérieur, mais hors contact avec le sol). Utilisé sous l’eau (pilotis), la durabilité est presque illimitée.