Cuillère en bois de Marronnier d’Inde (Aesculus hippocastanum)
C’est en taillant sommairement cette cuillère à l’aide d’une petite hache que sa texture en écaille sous l’écorce s’est révélée. J’ai souhaité conserver cette effet de matière, qui contraste nettement avec la blancheur du bois. Il fallait alors donner à cette cuillère en bois un caractère brut, volontaire, excessif : un cuilleron démesuré, un solide manche, une sculpture sommaire. La cuillère en bois de Marronnier d’Inde n’est pas huilée, elle est photographiée sur le restant de la branche de Marronnier.
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Dans la famille Sapindaceae, je demande…
Cette cuillère en bois de Marronnier d’Inde est la 32e sculptée pour mon défi consistant à tailler autant de cuillères différentes qu’il y a d’essences d’arbres répertoriées dans la flore forestière française.
Le genre Aesculus, de la famille des Sapindaceae (anciennement Hippocastanaceae), comprend une trentaine d’espèces originaires de l’hémisphère nord (Eurasie et Amérique du Nord) dont différentes espèces de marronniers et de paviers, souvent cultivés comme arbres d’ornement. Aucun ne figure dans la liste du défi, quoiqu’il est possible que je récupère un jour une branche de Marronnier hybride à fleurs rouges (Aesculus x-rubicunda). Le Marronnier rouge est une espèce introduite, souvent planté dans les mêmes sites que le Marronnier classique. C’est un hybride entre notre Aesculus hippocastanum et Aesculus pavia ou Pavier. Le Pavier est un arbre originaire du centre et sud des États-Unis, fréquemment cultivé comme arbre d’ornement pour ses belles fleurs rouges. Quatre paviers remarquables sont répertoriés sur le site Monumentaltrees, en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas.
Marronnier VS châtaignier
Vous avez bien du mal à distinguer un Marronnier d’un Châtaignier ? C’est un peu kif-kif pour vous ? Voyons comment faire pour combler cette petite lacune dans votre culture générale !
Marronnier et châtaignier, des familles différentes
- le Marronnier est un arbre de la famille des Hippocastanaceae (aujourd’hui incluent dans les Sapindaceae), et est le seul représentant de cette petite famille en France ;
- le Châtaignier (voir l’article / la cuillère en Châtaignier) appartient lui à la famille des Fagaceae, tout comme le Hêtre et les chênes.
Marronnier et châtaignier, des origines différentes
- le Châtaignier semble indigène en France puisqu’on retrouve sa présence en France dans des pollens datant de la fin du miocène. Il est ensuite repoussé vers le sud par la dernière glaciation (- 10 000 ans), trouve refuge en Corse, en quelques points des Maures, des Cévennes, et des Pyrénées Orientales. Le climat lui redevenant favorable, il a regagné une partie de son aire potentielle. Cette reconquête, très lente car les châtaignes, lourdes, ne sont pas facilement disséminées sur de longues distances, a été radicalement favorisée par l’homme. Cultivé depuis l’antiquité il a été introduit presque partout en France où il représente près de 10 % de la forêt feuillue ;
- Contrairement à ce que pourrait laisser penser son nom vernaculaire Marronnier d’Inde, cet arbre est originaire du sud-est de l’Europe. Son aire de distribution naturelle est morcelée dans les montagnes du sud des Balkans : principalement en Grèce et en Albanie, et de façon plus localisée en Macédoine et en Bulgarie. Au 19e siècle, plusieurs expéditions botaniques partirent néanmoins en Inde à la recherche des ancêtres de notre Marronnier… C’est en 1615 que le botaniste Bachelier rapporta de Constantinople le premier Marronnier qui fut planté à Paris dans la cour de l’Hôtel de Soubise. Il s’est vite étendu aux avenues urbaines et places publiques avant de devenir, Jules Ferry oblige, l’arbre le plus populaire de nos cours de récréations communales.
Les différences entre la châtaigne et le marron
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Dans le bogue d’un Marronnier, on trouve un unique marron, qui est une graine, non comestible.
- Dans le bogue d’un Châtaignier, on trouve plusieurs petites châtaignes, qui sont des fruits, comestibles. Mais on a pu, par culture sélective, développer des châtaigniers qui ne produisent qu’une grosse châtaigne dans chaque bogue, châtaignes qui se nomment alors… Marrons. Les marrons glacés, grillés, la crème de marrons, la dinde aux marrons… ne sont préparés qu’à partir de grosses châtaignes ! (1)
- Pour prêter encore plus à confusion, on a dénommé marronniers ces châtaigniers de culture…
Pour aller plus loin dans la distinction botanique de ces deux arbres, je vous invite à la lecture de cet excellent article du département de biologie de l’Université de Lyon.
(1) Bernard Bertrand et Eliane Astier, dans le numéro 20 du Compagnon végétal consacré au Châtaignier, indique que ces châtaigniers à grosses châtaignes proviennent de variétés importées d’Italie au 16e ou 17e siècle. Il précise : Dans la pratique, on parle souvent de « marron » pour les produits gastronomiques comme les marrons glacés, la crème de marrons, la dinde aux marrons… et de « châtaigne » pour des produits plus simples comme la purée de châtaignes, les châtaignes grillées…
Le Marronnier de Diénay (Côte-d’Or)
La branche de cette cuillère provient d’un magnifique Marronnier d’Inde situé sur la commune de Diénay, dans le Nord de la Côte-d’Or. La branche était cassée et posée au sol à proximité.
Le Marronnier signale l’emplacement d’une rare glacière du XVIIIe siècle, dont voici la petite histoire : la construction en France de glacières ou puits de glace fut le point de départ du commerce de la glace, produit de luxe du XVIIe au XXe siècle, qui se vendait à prix d’or.
La glacière de Diénay, entièrement restaurée entre 1999 et 2006, se trouve en contre-bas de l’église paroissiale. Elle a été construite sur une tour du vieux château par Charles Vaillant de Meixmoron.
Il s’agit de stocker la neige et la glace des étangs pour rafraîchir toute l’année les boissons, mais aussi à des fins médicales. Cette technique de conservation de la glace est utilisée depuis l’antiquité.
Les glacières devaient être implantées sur un terrain sec, à l’abri du soleil (par exemple à l’ombre d’un magnifique marronnier…). Une fosse profonde et ronde, ici une ancienne tour du château, servait à entreposer glace et neige dans les profondeurs de la terre. L’entrée est orientée au Nord, la glacière est couverte d’un toit isolant par une épaisse couche de terre.
Marronniers remarquables
Le Marronnier d’Inde est un grand arbre d’ornement dont la longévité en milieu rural est facilement supérieure à 150 ans, pouvant parfois atteindre 300 ans, et mesurer jusqu’à 30 mètres.
Marronniers remarquables dans le monde
Le site Monumentaltrees référencent les plus épais, les plus hauts et les plus anciens marronniers communs.
Le record de circonférence semble être détenu par un marronnier anglais, dans le parc du Hughenden Manor, High Wycombe : 7,33 mètres de circonférence à 1,10 mètres du sol (photo ci-contre à gauche). Pour la France, le site indique le marronnier du parc aux pieds de la Tour Eiffel, avenue Gustave Eiffel à Paris, avec 4,25 mètres de circonférence (voir cette impressionnante photo, ci-contre à droite, prise par Sisley). L’arbre a 200 ans (il a été planté vers 1814), la tour n’en a que 130 (début des travaux en 1887), mais elle a poussé plus vite…
Le record de longévité semble se disputer entre la France et l’Italie, avec des marronniers séculaires vieux de plus ou moins 400 ans (405 ans certifiés pour l’Italie).
Michel Brunner [ livre Arbres géants de Suisse ] évoque, parmi les représentants les plus énormes :
- un marronnier en Angleterre, dans le village de Hurstbourne Priors, qui mesurerait 8,35 mètres de circonférence ;
- un marronnier en Allemagne, au Gut Horst, dans le Länder Schleswig-Holstein, qui mesurerait 7,50 mètres de circonférence.
En Suisse, Michel Brunner présente un très beau Marronnier d’Inde de 4,60 mètres de circonférence, pour 135 ans d’âge, à Muri BE.
Marronniers remarquables en France
Georges Feterman, dans son dernier ouvrage Arbres d’exception, les 500 plus beaux arbres de France (éd. Artémis, nov. 2018), présente 11 marronniers remarquables :
- le marronnier « dans le mur », à Blamont (Doubs), d’une centaine d’année ;
- le marronnier du parc du Monstrelet, à Cambrai (Nord), environ 200 ans ;
- le marronnier de la Chartreuse de Valbonne, à Saint-Paulet-de-Caisson (Gard), environ 200 ans ;
- le marronnier de la liberté, à Saint-Cyr (Haute-Vienne), environ 220 ans ;
- le marronnier de la place de l’église, à Bunzac (Charente), environ 300 ans ;
- le marronnier de la place de l’église, à Le Wast (Pas de Calais), environ 220 ans ;
- le marronnier du château de Fourchaud, à Besson (Allier), entre 300 et 400 ans (2) ;
- le marronnier du parc Arthur Clark, à Wissous (Essonne), environ 150 ans ;
- le marronnier du château Sainte Marie, à Chasselay (Rhône) ;
- le marronnier de l’église de Blagny (Ardennes), environ 300 ans ;
- les 2 marronniers de Vigneux-Hocquet (Aisne), environ 160 ans.
D’autres marronniers sont référencés sur le site des Tétards arboricoles.
(2) Il semblerait que la tempête Joachim ait eu raison, en décembre 2011, du plus vieux Marronnier de France : les rafales de vent aurait brisé son tronc.
Connaitre et reconnaitre le Marronnier
Étymologie
Aesculus était le nom latin d’un chêne à glands comestibles. Hippocastanum évoque le cheval (hippos) et la châtaigne (kastanon) car le marron préalablement broyé semblait pouvoir être donné aux chevaux en petite quantité (pour guérir les chevaux jugés poussifs). Un des noms communs anglais du marron est encore horsechestnut, ou marron de cheval. Michel Brunner, dans le magnifique livre Arbres géants de Suisse, précise : Les ottomans nourissaient leurs chevaux avec des marrons pour lutter contre les maladies parasitaires.
Le même auteur cite d’autres usages (qui semblent spécifiques à la Suisse). Les aubergistes suisses auraient fait bon accueil aux marronniers car ceux-ci offraient beaucoup d’ombre et n’avaient que des racines superficielles : (le marronnier) se prêtait on ne peut mieux au refroidissement de la cave à bière située au-dessous. Etant donné que l’on utilisait les marrons pour remplacer non seulement le café, mais aussi le houblon, le marronnier est devenu l’arbre typique des Biergarten.
Le mot marron viendrait du mot ligure marr signifiant caillou. Son fruit lisse, rond et dur évoque effectivement un caillou. La marelle, jeu où on utilise des petites pierres, a la même origine.
De la comestibilité des marrons
Jacques Brosse, dans l’ouvrage Les arbres de France, histoires et légendes, indiquent que la couleur marron est postérieure au marron, la graine : C’est Buffon, semble-t-il, qui le premier s’en servit pour désigner une couleur approchant de celle des marrons.
Le marron, qui est une graine, n’est pas comestible. Riche en glucide, il contient aussi beaucoup de saponine, substance toxique à haute dose car elle détruit les globules rouges du sang. Heureusement, les saponines sont solubles, en particulier dans l’eau bouillante. Il suffit donc de cuire les graines, de préférence hachées, dans plusieurs eaux, pour s’en servir de base féculente. François Couplan, dans son ouvrage Le régal végétal, indique : Les indiens d’Amérique du Nord consommaient couramment les graines de plusieurs espèces locales (…) Les marrons étaient cuits à l’étouffée dans un four souterrain jusqu’à ce qu’ils soient tendres, puis ils étaient coupés en tranches et immergés dans de l’eau courante pendant plusieurs jours pour éliminer les saponines (…) Crus, ils servaient à empoisonner le poisson pour pêcher. Bernard Bertrand indique que les saponines du marron permettent de fabriquer facilement de la lessive. La sève, la bogue et la graine ont une odeur très particulière et un goût un peu amer.
Le bois du Marronnier et ses usages
Que dit la Flore forestière française à propos du marronnier ? Que c’est un bois blanc, laiteux, d’aspect soyeux, très homogène, très léger et très tendre, facile à travailler.
Néanmoins, de par son manque de solidité et de durabilité, il n’est que peu utilisé pour la menuiserie ou la charpente, et son usage est aussi limité par une tendance trop fréquente à la fibre torse. Son grain très fin et sa légèreté ont permis cependant de l’utiliser comme plis internes de contreplaqué, caisserie d’emballage, intérieur de meubles, sculpture, tournerie, modelage, orthopédie, panneaux pour la peinture, etc., bien que ces utilisations restent assez marginales. Enfin, s’il est réputé comme un excellent bois pour la pyrogravure, il est également un mauvais combustible… 😉