Ce n’est pas une cuillère en bois de Châtaignier commun, c’est une louche ! Enfin, une sorte de louche… Le bois est effectivement proche de celui du chêne, bien que plus tendre. C’est un bois homogène, agréable à travailler au couteau de sculpture. L’évidage de la louche, entièrement réalisé à la gouge, n’a pas été simple cependant. Le diamètre de la louche correspond au diamètre de la branche, moins 5 à 7 millimètres d’écorce et d’aubier blanc et fragile, que j’ai conservé néanmoins par endroit.
Cette cuillère en bois de Châtaignier commun est la 40e sculptée pour mon défi consistant à tailler autant de cuillères différentes qu’il y a d’essences d’arbres répertoriées dans la flore forestière française.
A cette occasion, j’ai photographié la collection qui représente 20% des 200 essences de bois que je dois sculpter ! Cliquez sur la photo pour l’agrandir.
Le Châtaignier commun appartient à la famille des Fagacées qui comprend environ 900 espèces réparties en 7 à 9 genres, les plus connus étant : Castanea (châtaignier) ; Fagus (hêtre) ; Quercus (chêne). Au sein du genre Castanea se comptent une vingtaine d’espèces, mais une seule en Europe : Castanea sativa. Cette espèce, cultivée de longue date comme un fruitier, comprend néanmoins plus de 900 variétés.
Le châtaignier des cent chevaux (en italien Castagno dei Cento Cavalli) est le plus grand et le plus ancien châtaignier connu en Europe, avec un âge estimé entre 2000 et 4000 ans (4000 ans selon le botaniste Bruno Peyronel de Turin). Situé sur la route allant de Linguaglossa à Sant’Alfio, sur le versant oriental de l’Etna en Sicile, à seulement 8 km du cratère, il a survécut tout ce temps aux multiples éruptions.
Jean Houel (1735-1813), peintre graveur français, dessina l’arbre durant son séjour sur l’île en 1776 (image ci-dessus), dessin à la gouache qui fut publié parmi 46 autres à son retour en France sous l’intitulé Voyage pittoresque des isles de Sicile, de Malte et de Lipari. La toile est visible au Musée du Louvre à Paris.
L’arbre, qu’on datait alors de 3000 ans, était complètement creux et abritait une petite maison et une claie pour faire sécher les châtaignes. L’artiste français confirma que si l’arbre était divisé en plusieurs gros troncs, il ne formait bien qu’un seul arbre et partageait les mêmes racines. Il se compose actuellement de trois arbres différents avec des circonférences respectives et respectables de 13, 20 et 22 mètres.
Mais revenons quelques siècles en arrière. De 1282 à 1415, la Sicile était sous contrôle de la couronne d’Aragon, une union dynastique qui a réuni de nombreux royaumes méditerranéens au Moyen Âge et à l’époque moderne. Durant cette période, notre fameux châtaignier était déjà réputé et on estimait alors son âge à 1700 ans…
L’histoire raconte qu’en 1308, une reine d’Aragon, Jeanne, fut surprise avec une compagnie de 100 chevaliers par un violent orage sur les pentes de l’Etna. Tous trouvèrent alors refuge sous les branches du monumental châtaignier que la foudre épargna cette nuit-là. Cette péripétie donna son nom à l’arbre, dès lors nommé en sicilien Castagnu dê Centu Cavaddi.
Andrée Corvol [ livre Éloge des arbres ], à qui je reprends l’expression Le colosse de Jeanne, conte la suite de l’histoire de cet arbre : en 1670, la caverne forma un parc à moutons ; en 1730, une famille de métayers y logea ; en 1784, une autre aménagea un four pour sécher ses châtaignes.
L’auteur rapporte qu’en 1770, la circonférence de l’arbre fut mesurée : 68 mètres. Guinness World Records l’a répertorié pour l’enregistrement du Greatest Tree Girth Ever (l’arbre à la plus grande circonférence connue), relevant qu’il avait une circonférence de 57,9 mètres (190 ft) lorsqu’il a été mesuré en 1780.
Ce châtaignier fait partie des 150 arbres déclarés d’intérêt historique et monumental exceptionnel en Italie. Mieux encore, en 2006, il a été déclaré par l’UNESCO : Monument porteur d’une culture de paix. C’est ainsi que le présente cette grande institution :
Le châtaignier a été une destination convoitée de tous temps et le refuge pour les hommes et les femmes de toutes conditions, tous unis par le désir commun de se retrouver eux-mêmes dans le contact pacifique avec la Nature encore sauvage et donc potentiellement inspiratrice de messages surhumains et éternels qui, à travers l’arbre, font redécouvrir l’absolu qu’il y a en chacun de nous. (…) Rites et légendes sont liés au châtaignier millénaire. Un mythe plein de charme veut que, pendant une nuit orageuse, une reine de nom Jeanne a été aimée par les Cent Cavaliers de sa suite, lesquels avaient trouvé abri avec elle dans le tronc du majestueux arbre.
Châtaignier (chastainier en ancien français) vient du latin castanea, lui-même dérivé du grec kastanon. Ce nom ferait référence à Castanis, une ville dans le Pont-Euxin sur la Mer Noire, dans l’actuelle Turquie. Sativa signifie « cultivé ». Un lieu planté de châtaigniers est une châtaigneraie.
Les zones-refuges
L’aire d’origine du châtaignier, telle qu’elle est représentée sur la carte ci-contre, correspond à ses zones-refuges (en vert sur la carte) durant la dernière période glaciaire. Je ne reviendrai pas sur l’impact important de la dernière glaciation sur la flore européenne, sujet qui a été abordé dans l’article consacré au Chêne pubescent.
Les barrières constituées par les massifs montagneux et la concurrence d’autres arbres plus compétitifs comme le hêtre et les chênes ont probablement bloqué la reconquête du châtaignier en direction du Nord, vers de vastes régions d’Europe au climat post-glaciaire redevenu plus clément pour cette espèce (source : wikipedia).
Les châtaignes, comme les marrons et les glands, ont par leur poids un faible pouvoir de dispersion, sauf lorsque ces graines sont transportées par l’homme ou d’autres animaux. Les premiers indices du retour des châtaigniers en France (hormis en Corse, dans le Périgord, les Cévennes méridionales et autres zones-refuges où l’espèce se serait maintenue) sont des traces de pollens dans la vallée de la Loire, traces qui remontent à 5000 à 7000 ans. L’arbre est également attesté en Ardèche lors de l’âge du bronze (vers 2000 av. J.-C.). Néanmoins, il semble à ces époques être encore rare et ne pas faire l’objet d’une culture intentionnelle.
L’expansion romaine
Si la culture du Châtaignier au nord des Alpes n’est mentionnée dans des écrits qu’à partir du VIIIe siècle (dont le capitulaire De Villis, rédigé à l’époque de Charlemagne, qui incite notamment au développement de cette essence), on sait cependant que l’espèce (dont plusieurs variétés sont déjà cultivées en Italie), a recolonisé l’Europe occidentale, vers le nord jusqu’en Écosse et aussi localement en Afrique du Nord, avec les légions romaines – légions qui ont un goût prononcé pour la castagne – Castanea sativa 😉
Andrée Corvol indique : les populations latines et toutes celles qui furent assimilées ont sélectionné les meilleures variétés et les ont propagées grâce à leur maîtrise des techniques de greffe ; les colons, qui étaient fréquemment des vétérans nés dans la botte italienne, les auraient même amenées jusqu’en Allemagne du Sud et dans les îles Britanniques.
La civilisation du Châtaignée, du XVIe au XVIIIe siècle
Si la culture du Châtaignier au nord des Alpes n’est mentionnée dans des écrits qu’à partir du VIIIe siècle (dont le capitulaire De Villis, rédigé à l’époque de Charlemagne, qui incite notamment au développement de cette essence), on sait cependant que l’espèce (dont plusieurs variétés sont déjà cultivées en Italie), a recolonisé l’Europe occidentale, vers le nord jusqu’en Écosse et aussi localement en Afrique du Nord, avec les légions romaines – légions qui ont un goût prononcé pour la castagne – Castanea sativa 😉
Andrée Corvol indique : les populations latines et toutes celles qui furent assimilées ont sélectionné les meilleures variétés et les ont propagées grâce à leur maîtrise des techniques de greffe ; les colons, qui étaient fréquemment des vétérans nés dans la botte italienne, les auraient même amenées jusqu’en Allemagne du Sud et dans les îles Britanniques.
Le XIXe siècle et le déclin de la culture des châtaigniers
Si le pain du pauvre a longtemps joué un rôle prépondérant dans l’alimentation humaine, au XIXe siècle, la culture de la pomme de terre rend les châtaignes moins indispensables. Ces dernières souffrent souvent d’une image négative : c’est l’aliment des sols pauvres, l’aliment de guerre, de famine, de survie. L’exode rural de la fin du XIXe siècle laisse de nombreux vergers à l’abandon, sans entretien, ce qui facilitera l’installation de maladies (l’encre, un champignon qui attaque les racines, puis le chancre de l’écorce et aujourd’hui le cynips, un insecte de Chine qui pond dans les bourgeons) et accentuera la dégradation des châtaigneraies. Enfin, à la même période, le besoin grandissant en produits tannants (grande demande de souliers en cuir, à la place des anciens sabots de bois), conduit à la destruction de peuplements entiers en France comme en Italie. Le tanin était extrait du bois de Châtaignier, les déchets de bois était alors recyclé en combustible, panneaux de particules ou pâte à papier.
Le châtaignier est un arbre majestueux (un des plus imposants arbres français) qui peut mesurer 25 à 35 mètres de haut. Il a une croissance soutenue jsqu’à 50-60 ans.
L’écorce jeune est lisse, gris brun verdâtre, proche du hêtre, puis devient brun foncé et se fissure longitudinalement, comme le chêne. Avec l’âge, l’écorce a tendance à se vriller et le tronc à devenir creux.
Les grandes feuilles caduques, vert luisantes dessus, sont de forme oblongue-lancéolée, aux bords en dents de scie et portée par un pétiole court. Elles sont disposées en spirale et peuvent mesurer jusqu’à 25 cm de long sur 4 à 8 cm de large.
L’arbre fleurit tardivement, de la mi-juin à la mi-juillet : les fleurs sont des chatons cylindriques jaune pâle, les chatons mâles, dressés à la floraison et disposés à la base des rameaux, apparaissent les premiers et répandent alors une forte odeur de sperme ou de miel, les chatons femelles se réunissent par trois et sont disposés plus au sommet.
La bogue épineuse enveloppe les fruits et dissuade certains prédateurs de s’attaquer aux châtaignes. À l’intérieur de la bogue se trouvent les châtaignes, au nombre de 1 à 7, généralement 3, qui sont, au sens botanique, des fruits secs de type akènes.
Pierre Lieutaghi indique que par ses propriétés physiques et mécaniques, le bois du Châtaignier est proche de celui du chêne. Les deux bois ont souvent été confondus et nombre de charpentes dites en châtaignier sont en réalité en chêne. L’auteur donne néanmoins des indications pour distinguer les deux essences, dont : le Châtaignier s’en distingue cependant très facilement par l’absence de rayons médullaires visibles. J’ai également remarqué que l’aubier, particulièrement épais chez les chênes, est plus étroit chez le Châtaignier.
Andrée Corvol [ livre Éloge des arbres ] explique que l’usage du bois de Châtaignier a été limité par la faible longueur du tronc : des siècles de sélection en vue de la récolte des châtaignes ont donné à leur porteur une cime hyper développée qui laisse peu de place au tronc. D’où une prédominance du chêne pour des usages en menuiserie et charpenterie. L’auteur note, dans les régions de culture du Châtaignier, un fort usage de son bois pour les menuiseries de la vie quotidienne : table, armoire, buffet, pétrin, banc, etc.
Quant aux usages, c’est un véritable inventaire à la Prévert que nous propose la Flore forestière : perches, piquets, poteaux agricoles, cannes, jalons, clôture, cercles de tonneaux (feuillards), lattes refendues, pièces de charpente, bardeaux, petits merrains, montants d’échelle, parquet, lambris, menuiserie, ébénisterie, bois courbé, bois de mine… et enfin : bois de chauffage moyen, à utiliser seulement en foyer fermé (projette des escarbilles), mais bon charbon de bois.
Pierre Lieutaghi précise ces usages selon l’âge du taillis de châtaigniers :
Cet usage en merranderie est pratiqué en France dans les régions viticoles où le chêne est rare, mais surtout d’usage courant en Italie : la propriété qu’il a de conserver toujours son volume égal, sans se gonfler ni se resserrer, le rend surtout très propre à conserver toutes sortes de liqueurs ; il laisse moins évaporer leur partie spiritueuse que le bois de chêne ou de sapin (Dutour, 1803, Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle, cité par Lieutaghi). Eliane Astier et Bernard Bertrand précisent que les romains utilisaient le bois du châtaignier en association avec la vigne, à la fois pour les échalas et pour les douelles ou douves de tonneaux, c’est-à-dire les planches assemblées qui constituent le tonneau, planches taillées dans les merrains. Le bois transmet ses tanins au vin et participe à sa maturation et au développement de ses arômes.
François Couplan [ Le régal végétal ] indique que les châtaignes se mangent crues (elles sont alors peu digestes du fait du fort taux d’amidon qu’elles contiennent), fraîches ou séchées, bouillies ou rôties, grillées dans une poêle à trous ou un cylindre à châtaignes. On peut les moudre pour obtenir une farine sucrée et aromatique qui servira à la confection de pains, gâteaux, bouillies. Les châtaignes, préalablement dépourvues de leurs peaux, pouvaient aussi être cuites comme une soupe dans une marmite d’eau, longue cuisson qui donne une mixture pâteuse dans laquelle on ajoute, selon les régions, du lait ou du vin.
François Couplan nous dit également qu’en Corse, on prépare une bière à la châtaigne, la Pietra (site de la brasserie Pietra), et en Auvergne une liqueur apéritive contenant de la châtaigne et des pommes : le birlou (site du producteur).
Les châtaignes sont très nutritives. Elles contiennent : 40% de glucides, 4% de protéines, 3% de lipides, des vitamines (autant de vitamines C que le citron) et des sels minéraux.
Torréfiées, les châtaignes peuvent servir de succédané de café. Les feuilles, cueillies vertes, étaient également utilisées comme fourrage.
Le Châtaignier fait partie de la pharmacopée campagnarde, notamment pour sa haute teneur en tanin (dans l’écorce, le bois et la peau des fruits). Ses propriétés dérivent de son astringence.
On employait :
Par les tanneurs
C’est aussi un bois riche en tanins (6 % dans l’écorce, 13 % dans le bois et les bogues) qui a été largement exploité à cet effet par l’industrie de 1890 à 1960. Sa haute teneur en tanin (7 fois supérieure à celle du chêne) fait que les araignées ne tissent jamais leur toile sur du bois de châtaignier.
Par les abeilles
Les abeilles tirent du châtaignier un miel toujours liquide et parfumé, qu’on dit corsé, au goût prononcé, un peu amer, pas toujours apprécié mais souvent utilisé en cuisine pour son caractère et sa texture. Dans les Cévennes, les vieux tronc creux faisaient office de ruches.
Pour le fromage
En France, les feuilles sont utilisées pour parfumer et emballer certains fromages de chèvre :